Dans cette proposition de communication, nous proposons de présenter un compte-rendu d'une recherche en cours au sujet des pratiques de partage de ressources éducatives par des enseignants du primaire sur le réseau social Instagram et sur les possibilités d'émergence de nouvelles communautés de pratique en ligne ou hors ligne.
La littérature, pour ce qui relève des utilisations des réseaux sociaux par les enseignants du primaire, comme du secondaire, est relativement bien fournie. Elle apporte des éléments de compréhension quant aux appropriations à des fins professionnelles de ces derniers, notamment pour la réalisation de veilles informationnelles ou pour échanger au sein de groupes professionnels sur Facebook (Capelle & Rouissi, 2018), ou encore pour la réalisation de collections de ressources à consulter sur Twitter pour la composition des cours (Quentin, 2018).
Instagram est un réseau social spécialisé pour les métiers du commerce : à l'origine conçu en 2010 comme un service de partage de photos et de vidéos, il a d'abord eu un certain succès auprès des créateurs de contenus puisqu'il fonctionne comme une vitrine (March, 2018) dans laquelle, les utilisateurs peuvent partager des contenus de manière permanente ou non ; l'enjeu, pour un créateur de contenus ou une marque, étant de mettre en avant ses activités. A cette fin, le réseau social s'est doté de plusieurs fonctionnalités de suivi des flux entrants sur les profils : nombre d'abonnés, nombre de vues des contenus, nombre de commentaires, outils d'analyse de la visibilité des contenus, et se distingue des autres réseaux sociaux par ses fonctionnalités de traitement et de mise en scène de l'image.
Dans la continuité des travaux menés avec Georges-Louis Baron1 à propos des règles d'organisation et de partage de ressources existantes au sein de communautés enseignantes (Baron & Zablot, 2017), nous proposons de focaliser notre attention sur les règles de fonctionnement des proto-communautés en nous intéressant au cas de la création de comptes, par des enseignants du primaire, sur Instagram ; réseau qui a priori n'est justement pas conçu pour permettre la création de groupes d'intérêt comme c'est le cas de Facebook et dont l'objectif principal, est la mise en avant d'activités à des fins commerciales.
Nous avons remarqué que les comptes d'enseignants du primaire étaient nombreux, si bien que les académies et les syndicats d'enseignants ont, eux-aussi, investi ce réseau social à des fins de transmission d'informations. Les enseignants s'y mettent en scène, montrent des activités menées en classe et ces activités sont parfois accompagnées d'une description lorsqu'elles apparaissent dans le fil permanent du profil de l'enseignant.
A partir des travaux d'Ostrom et Basurto (2011), nous avons souhaité apporter des éléments de réponse aux questions suivantes : A quelles fins des enseignants du primaire ont créé leur compte ? Quelles activités partagent-ils ? Comment les partagent-ils à travers leur profil et en dehors des fonctionnalités prévues par le réseau social ? Dans quelle mesure ces créations de compte peuvent permettre l'émergence de nouvelles communautés de pratique ?
Pour cela, nous avons suivi 15 comptes d'enseignants du primaire dont deux sont gérés chacun par deux personnes. Ces enseignants sont en majorité des femmes (15 femmes versus 2 hommes), seulement 3 sont jeunes titulaires et de manière plutôt équilibrée, 10 exercent en école élémentaire et 7 en école maternelle. Quand cela a été possible, nous avons mené des entretiens avec ces enseignants via l'utilisation d'un logiciel de visio-conférences.
Les données sont actuellement en cours de traitement, mais les premiers résultats montrent l'émergence d'une figure de ce que l'on pourrait appeler l'enseignant auto-entrepreneur. Il s'agit d'enseignants qui ont intégré les techniques de mise en scène de soi et de leurs activités : tous utilisent des filtres ou des effets pour embellir leurs contenus et ces derniers sont toujours accompagnés d'explications détaillées, comme il est possible de l'observer dans la publicité. Par ailleurs, dans 13 cas, le compte est associé à un blog, un site internet ou un drive sur lequel les enseignants partagent leurs ressources et en cela, c'est par la consultation des contenus sur Instagram que les utilisateurs sont renvoyés vers ces sites. Autrement dit, les comptes Instagram ont bien un rôle de vitrine.
Il est possible de considérer que le fonctionnement de ces comptes répond à un modèle économique hybride avec, d'un côté, des activités partagées gratuitement et détaillées (c'est le cas sur l'ensemble des comptes) et de l'autre, des concours organisés en partenariat avec des marques de fournitures scolaires ou des éditeurs de ressources (dans 9 cas sur 15). Par ailleurs, les activités proposées sur les liens annexes peuvent être payantes ou accessibles gratuitement.
En cela, on assiste alors à un phénomène peu documenté qui est celui, non pas de la constitution de communautés de pratique, mais de celui où des enseignants se lancent dans l'entreprenariat, autour de la question de la production de ressources. Un des enjeux pour la recherche serait de comprendre comment ces initiatives individuelles évoluent, notamment vis-à-vis des éditeurs scolaires classiques ? De même, comment ces enseignants sont perçus ou reconnus par leurs pairs et les inspecteurs ?
Références
Baron, G.-L., & Zablot, S. (2017). De la constitution de ressources personnelles à la création de communautés formelles : Étude de cas en France. REVIEW of SCIENCE, MATHEMATICS and ICT EDUCATION, 11(2), 25 45.
Capelle, C., & Rouissi, S. (2018). Représentations et stratégies de jeunes enseignants face aux réseaux sociaux numériques. Les Cahiers du numérique, 14(3 4), 13 34.
Ostrom, E., & Basurto, X. (2011). Crafting analytical tools to study institutional change. Journal of Institutional Economics, 7(3), 317–343.
Quentin, I. (2018). Publication et partage de ressources (p. 42). ENS Paris Saclay. http://eda.recherche.parisdescartes.fr/wp-content/uploads/sites/6/2019/03/Quentin_Analyses-de-comptes-Twitter_-2018._V2doc.pdf
1Professeur émérite, laboratoire Education, discours et apprentissages, université Paris Cité